Cette question, que nous allons aborder, surgit dans de nombreuses conversations.
Si Dieu a déjà la connaissance de tout ce que nous pouvons lui dire, la prière ne devient-elle pas une pratique vide de sens et dépourvue d’intérêt ?
La question mérite d’être traitée, car être au clair sur cette question est important.
Comme le fait remarquer C.S. Lewis, notre vie de prière en dépend, non seulement sur le plan pratique, mais aussi parce que notre doctrine de Dieu est concernée.
Les deux notions en cause, apparemment contradictoires, sont, d’une part, la nécessité de la prière et, d’autre part, l’omniscience de Dieu.
Selon la logique humaine, l’omniscience divine exclurait d’emblée la nécessité de la prière, et la pratique de la prière serait une manière de contester la connaissance parfaite de Dieu.
Or, une doctrine orthodoxe implique le respect des deux notions.
Conserver les deux doctrines est donc la seule solution satisfaisante, puisque rejeter une des deux nous mènerait à rejeter Dieu tel qu’il est décrit dans la Bible et à nous tourner vers un «dieu» imparfait, ce qui équivaudrait à de l’idolâtrie.
Du point de vue biblique, la doctrine de l’omniscience de Dieu n’est pas vue comme infirmant la nécessité de la prière.
Jésus lui-même fait ce rapprochement entre la connaissance parfaite de Dieu et l’importance de la prière, lorsqu’il dit: «En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne leur ressemblez pas; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.»
Or, ce qui est frappant dans cet enseignement, c’est que Jésus ne voit pas l’omniscience de Dieu comme opposée à l’acte de la prière.
Bien au contraire, il utilise cette connaissance divine comme argument en faveur de la prière, comme si la prière était justement fondée sur le fait que Dieu en a la prescience.
L’argumentation est donc inversée. Comment comprendre cela ?
Ce n’est possible que si l’on admet que le Christ a une compréhension de l’omniscience de Dieu qui diffère de celle que l’on peut avoir.
Le fait d’opposer la connaissance parfaite de Dieu et la nécessité pour l’homme de prier nécessite de négliger deux éléments importants de la connaissance de Dieu : tout d’abord, elle n’est pas seulement factuelle, elle est aussi personnelle.
Ensuite, les attributs essentiels de Dieu n’ont pas nécessairement les mêmes caractéristiques que la révélation qu’il nous en fait (en d’autres termes, il peut y avoir une différence entre l’«omniscience essentielle» de Dieu et son «omniscience économique»).
1. Omniscience factuelle ou personnelle
L’idée que les doctrines de la connaissance parfaite de Dieu et de la nécessité de la prière sont opposées repose nécessairement sur l’opinion que la connaissance qu’a Dieu de la réalité est uniquement factuelle.
Si Dieu sait tout, aucune information ne peut lui être utile.
Cependant, dire que sa connaissance est seulement factuelle équivaut à tomber dans l’erreur de la pensée moderne qui voit en Dieu un être impersonnel.
Or, Dieu est à la fois infini et personnel.
La connaissance de Dieu n’est pas analogue à celle d’un ordinateur, qui accumule des données impersonnelles.
Sa connaissance personnelle parfaite implique sa volonté d’être en communion et en communication avec nous.
Si Dieu n’a pas besoin d’entendre nos prières pour savoir ce que nous voulons lui dire, il n’annule pas la valeur de la prière, car son omniscience ne se limite pas à cette connaissance de faits, elle inclut son désir d'une relation, d'une communication et d'une communion avec nous !
Ainsi, l’omniscience essentielle de Dieu ne peut en aucun cas être changée par notre prière, puisque tout changement impliquerait soit que sa connaissance n’était pas parfaite avant le changement, soit qu’elle l’était et ne l’est plus.
L’attribut divin de l’omniscience ne peut qu’être immuable, sans quoi on ne peut plus parler d’omniscience mais seulement d’une connaissance supérieure à la nôtre.
Toutefois, si notre prière ne peut affecter l’omniscience divine, elle peut apporter des changements à la façon dont cette omniscience est révélée.
Le fait de prier ne donne pas plus de connaissances à Dieu, mais il permet de montrer de façon bien plus évidente que Dieu sait tout.
Ainsi, notre prière ne s’oppose pas à l’idée d’omniscience; au contraire, elle est un facteur de la révélation de celle-ci, puisqu’elle la manifeste d’une manière plus explicite.
Tout comme un prisme ne change pas la lumière mais la rend visible sous une autre forme, la prière ne change pas la connaissance de Dieu mais la met en valeur d’une manière spéciale.
La prière révèle l’omniscience de Dieu en contraste avec notre connaissance limitée; ensuite, elle révèle la connaissance parfaite de Dieu par la découverte a posteriori que nous faisons de l’action de Dieu.
La première raison pour laquelle on peut dire que notre prière manifeste l’omniscience de Dieu est la différence infinie entre notre savoir fini et son omniscience illimitée.
Ainsi, il nous arrive souvent de ne pas avoir une connaissance suffisante d’une situation pour faire des demandes explicites à son sujet, ce qui n’empêche pas Dieu, qui connaît cette situation, d’écouter notre prière et même d’y répondre.
A ce sujet, il est intéressant de rappeler le passage de l’épître aux Romains 8.26 où Paul exprime l’idée que Dieu, par l’Esprit Saint, complète ce qui manque en sagesse à nos prières.
Le second facteur est la prise de conscience a posteriori de l’action de Dieu.
C’est ainsi que nous discernons, après une intervention de Dieu, que sa providence était à l’œuvre déjà avant notre prière, ce qui manifeste la supériorité de la connaissance de Dieu sur la nôtre.
Un des exemples bibliques de cette action de Dieu précédant notre prière est le récit d’Actes 12.3-17. Ce texte montre clairement que l’Eglise, qui priait pour la libération de Pierre, était encore en prière une fois que Pierre a été libéré.
On le voit, Dieu agit pendant – et même parfois avant – que nous n’exprimions une prière, et il a une connaissance parfaite, là où la nôtre est limitée.
Estimer que l’omniscience de Dieu pourrait annuler l’importance de la prière repose sur l’idée que la prière a essentiellement une fonction d’information.
Selon cette conception, la seule conséquence de la prière est une transmission de connaissances.
Or, ce n’est pas là l’unique fonction de la prière, ni même l’unique fonction de quelque communication humaine que ce soit.
Il faut reconnaître que la prière a une multiplicité de fonctions : des fonctions relationnelle (ou d’alliance), pédagogiques, d’adoration et d’imploration.
1. La fonction relationnelle de la prière
Un exemple humain qui illustre bien cette fonction de la prière est le mariage: lorsqu’on dit à son conjoint qu’on l’aime, il ne s’agit pas uniquement de la transmission d’une information.
Au contraire, l’objectif principal d’une telle déclaration est d’entretenir la relation qui a été créée par l’alliance du mariage.
La parole prononcée, dans cet exemple, renvoie à une réalité relationnelle plus profonde et fortifie cette réalité.
De même, la prière ne consiste pas uniquement dans le fait d’informer Dieu.
Elle vise à entretenir une relation personnelle entre Dieu et nous (en tant que peuple de Dieu ou individuellement), relation qui a été initiée par son alliance.
De même que dans l’analogie du mariage, la parole prononcée dans la prière renvoie à une réalité relationnelle plus profonde et sert à l’alimenter (non pas que l’amour de Dieu ait besoin d’être rendu plus grand; c’est plutôt le côté humain de la relation qui a besoin d’être fortifié).
2. La fonction pédagogique de la prière
Cette seconde fonction de la prière comporte bien une information, mais il ne s’agit pas, comme dans la perspective que nous cherchons à dépasser, d’une information faite de notre part envers Dieu, mais du mouvement inverse.
Dans cette fonction, en effet, Dieu nous fait connaître ce que nous avons besoin de savoir. L’information n’est pas ascendante (de nous vers Dieu) mais descendante (de Dieu vers nous).
Dans ce domaine, l’omniscience de Dieu, loin d’être opposée à la prière, lui donne plus d’importance, puisqu’il s’agit non pas d’une information humaine limitée, mais d’un enseignement donné par la seule personne qui sait tout.
Il faut distinguer deux facettes de cet aspect de la prière: d’un côté, il y a une pédagogie positive, dans laquelle Dieu développe en nous notre connaissance et notre sagesse, et, de l’autre côté, on trouve une pédagogie négative dont l’objectif est de mettre en lumière le péché qui est en nous afin que nous le confessions.
Il est logique qu’en communiquant avec quelqu’un qui a une plus grande connaissance que nous (et à plus forte raison, avec quelqu’un dont la connaissance est parfaite), notre sagesse s’accroisse.
3. La fonction d'adoration
Dans le contexte d’une prière d’adoration, la question de l’omniscience de Dieu ne se pose pas, puisqu’il n’est pas nécessaire d’informer Dieu de sa gloire.
Cette fonction de la prière vise plutôt à déclarer la gloire de Dieu, qui est déjà connue et de Dieu et de nous.
Il n’y a pas ici de place pour une notion d’information, car tous ceux qui sont impliqués dans cette prière (à la fois Dieu et nous) sont déjà informés.
Quel est donc le but de ce type de prière, si ce n’est pas d’informer?
Quelle est la cause d’une prière d’adoration?
Dans la Bible, la cause principale invoquée pour ce type de prière est la nature même et les actes de Dieu. On en trouve de nombreux exemples, parmi lesquels nous n’en relèverons que quelques-uns: «Célébrez l’Eternel, car il est bon, car sa bienveillance dure à toujours!» (Psaumes 118.1)
«Louez l’Eternel, vous toutes les nations, glorifiez-le, vous tous les peuples! Car sa bienveillance pour nous est efficace.» (Psaumes 117.1-2)
«Louez l’Eternel! Car l’Eternel est bon. Psalmodiez en l’honneur de son nom! Car il est favorable.» (Psaumes 135.3)
L’important est donc bien d’exprimer une louange à Dieu et non de l’informer, lui communiquer notre reconnaissance, notre admiration et notre amour à son égard.
4. La fonction d’imploration
L’omniscience de Dieu n’annule pas la nécessité de la prière pour l’homme car, même lorsque nous «faisons connaître à Dieu nos demandes», notre objectif n’est pas seulement de l’informer, mais de le prier d’agir. Nos prières appellent Dieu à une action dans le monde matériel.
Ainsi, même si Dieu sait tout – y compris nos besoins – il est important de le prier, car la prière a des effets dans le monde réel.
Le but de notre prière est aussi un appel à l’intervention concrète de Dieu.
En fait, dans la perspective biblique, l’efficacité de la prière n’est pas seulement encourageante pour notre vie de prière – bien plus, elle est essentielle à la prière, puisqu’elle en est une des causes.
Les Psaumes 34.4 et 81, en particulier parlent de l’exaucement par Dieu comme étant au centre de la prière.
L’épître de Jacques 5.17-18 rappelle aussi que «la prière agissante du juste a une grande efficacité.
Nous sommes donc exhortés, en tant que chrétiens à titre individuel et en tant que communauté chrétienne, à la prière, à une prière diversifiée, car la prière a de nombreux buts.
D'après un article de Justin DAUNER
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