vendredi 23 septembre 2016

Cerise et Clémentine







Matthieu 6.26
Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent,
et ils n’amassent rien dans des greniers; et votre Père céleste les nourrit. 
Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ?

- Bonjour petits oiseaux ! s'écria grand-mère en leur lançant à toute volée des miettes de pain.
- Bonjour, je m'appelle Cerise et voici ma petite sœur Clémentine. Nous sommes des rouges-gorges, l'un des oiseaux les plus répandus sur toute la surface de la terre. Vois-tu comme nos pattes sont fortes et habiles pour nous accrocher sur les branches des arbres ?
- Nos parents nous ont appelés Cerise et Clémentine à cause de la couleur de notre plumage. Une histoire dit que notre ancêtre n'avait que des plumes marrons, mais qu'un jour elle s'est perché sur une croix où était cloué Jésus Christ. Pleine de compassion, elle s'est penchée sur son visage pour essuyer ses larmes et tenter d'arracher les épines plantées sur son front... c'est alors qu'une goutte de sang est tombée, colorant à jamais son plumage et celui de toute les générations de rouges-gorges de la terre, poursuivit Clémentine.
- Je ne sais pas si c'est vrai, mais nos plumes sont bien rouges ! soupira Cerise.
- Et voilà pourquoi nous portons ces noms étranges de fruits ! renchérit sa sœur.
- Vous êtes bien jolies ! s'exclama grand-mère. N'êtes-vous pas contentes de porter ce plumage éclatant ? En automne, vous pouvez vous cacher sous les feuilles rousses et  l'hiver, vous êtes comme de petites flammes rayonnantes qui réchauffent et illuminent les longues nuits.
- Non, nous ne sommes pas contentes ! décrétèrent les deux sœurs en chœur.
- Et bien ! sourit grand-mère. Votre petit corps en boule si attendrissant et votre œil vif qui me fait tant craquer cache un bien mauvais caractère ! N'avez-vous jamais goûté les cerises et les clémentines ?
- Nous n'aimons pas les fruits ! piaillèrent-elles en sautillant sur leur branche d'un air rageur.
- Ah oui ? s'étonna grand-mère.  Je croyais que les passereaux aimaient les fruits et les baies... Mais peut-être préférez-vous manger des insectes et des vers ?
- Ça c'est ce que nous donnaient nos parents à la béquée ! rétorqua Cerise, mais maintenant que nous ne sommes plus des bébés, nous n'avons plus envie de cette nourriture !
- Mangeriez-vous des vers et des insectes ? ajouta Clémentine en s'adressant à grand-mère d'un air dégoûté.
- Heu... non, bien sûr, bredouilla grand-mère. Mais je ne suis pas un oiseau ! Alors vous préférez peut être les miettes que je jette dans l'herbe ou les boules de graisses que je pends aux arbres ?
- Pfeu ! Pas du tout ! rétorquèrent les sœurs d'un air boudeur.
- je comprends maintenant pourquoi la mélodie de vos chants a un charme si triste et si discret lorsqu'elle retentit tôt le matin ou tard le soir dans mon arbre ! Vous n'êtes pas contentes ! Et au lieu de louer votre créateur par vos chants mélodieux pour le remercier de la nourriture qu'il vous donne matins et soirs, vous rouspétez comme de vieilles ronchons... Mon jardin est pourtant plein de fruits, de légumes et de graines !
- Nous n'aimons pas les fruits, les légumes ni les graines ! râlèrent les deux rouges-gorges.
- Mais qu'aimez-vous donc ? les interpela grand-mère qui commençait à perdre patience. Dieu a mis à votre disposition quantité d'arbres et de mousses afin que vous logiez gratuitement dans ce jardin qui regorge de nourriture et vous n'êtes pas contents ! Vous n'avez pas besoin de bêcher, ni de semer, d'arroser ou d'engranger et vous n'êtes pas contentes ! Mais que voulez-vous ?
- Des frittes, des hamburgers couverts de sésame et des glaces avec une épaisse couche de cacahuètes sur le dessus ! s'écrièrent les deux sœurs avec délice.
- Quoi ? fit grand-mère qui n'en croyait pas ses oreilles. Mais où donc avez-vous goûté ce genre de nourriture ?
- Nulle part, avoua Cerise. C'est juste que les affiches vantent ce genre de nourriture au centre ville et cela a l'air tellement appétissant ! Les enfants du quartier ont tellement l'air de se régaler que nous aimerions en manger aussi !
- Et pourquoi n'y avez-vous pas encore goûté ? s'étonna encore grand-mère. Les poubelles des restaurants doivent regorger de restes à picorer !
-  Manger dans les poubelles et se battre avec les chats et les rats pour se rassasier, quelle étrange idée ! riposta Clémentine.
- Dieu vous a fait la grâce de vous nourrir de mets sains et bons pour votre santé, et vous seriez prêtes à vous nourrir dans les poubelles, s'il n'y avait pas de rats ni de chats pour vous effrayer ! Alors bénis soient les chats et les rats mes petites amies ! Bénis soient les rats et les chats ! Chantez ! Chantez ! Et remerciez Dieu de vous donner des fruits, des légumes et des graines à manger ! Louez-le par vos chants et cessez de bouder et ronchonner ! s'écria grand-mère en lançant encore à toute volée une grosse poignée de miettes briochées.


 Sophie Lavie


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