Il était une fois, une petite fille de 7 ans qui
s'appelait Lily.
Elle aimait beaucoup aller à l'école pour
retrouver ses amies et jouer dans la cour de récréation.
Mais il y a une chose qu'elle détestait
par-dessus tout, c'était lire et écrire.
Quand elle ouvrait un livre ou essayait
d'écrire sur son cahier, c'est étrange, mais tout à coup les lignes se
mettaient à danser devant ses yeux et les lettres se mélangeaient toutes, comme
si elles devenaient folles et voulaient s'échapper des pages blanches.
Impossible de les rattraper, de les ranger ou
de les mettre en ordre...
Ces vilaines petites bêtes se tordaient dans
tous les sens, se retournaient et ne lui donnaient jamais le temps de lire une
phrase qui ait un sens.
Pendant un temps, maman avait crû que des
lunettes suffiraient à régler le problème, mais après avoir consulté un
"grosptichien" elle avait compris que son problème avec les mots ne
venait pas de ses yeux.
Peu à peu, Lily développa un dégoût pour
l’écriture - tellement compliquée - et elle se mit à mal écrire afin de
dissimuler ses fautes d’orthographe...
Elle était fatiguée, son travail se faisait très
lentement et elle ne savait plus quoi penser.
Pour la consoler et l'encourager, grand-mère
vint lui rendre visite et lui offrit un cadeau enveloppé dans une couverture de
papier blanc tout doux.
- Qu'est-ce que c'est grand-mère ?
s'exclama-t-elle toute excitée.
- Regarde ! lui répondit-elle en l'incitant à
ouvrir le paquet.
Lily s'empressa de déchirer la jolie couverture
et découvrit...
- Un LIVRE ! s'exclama-t-elle horrifiée. Oh,
non grand-mère !
Déçue la petite fille avait les larmes aux
yeux.
Pourquoi grand-mère avait-elle eu cette idée
saugrenue ?
Boudeuse, elle tourna le dos à sa grand-mère
qui la prit doucement par l'épaule.
- Ce n'est pas un livre comme les autres... lui
murmura-t-elle à l'oreille.
Lily grogna, les bras croisés contre son cœur
meurtri.
- Viens par là, lui dit grand-mère en
l'invitant à s'assoir près d'elle sur son petit lit.
L'aïeule saisit délicatement le livre et en
caressa la couverture de carton glacé, sur laquelle était dessinée une
grand-mère qui tricotait adossée à un mouton.
- LILY... A PAS DE... MODE ? demanda Lily les yeux
écarquillés.
Grand-mère secoua la tête en signe de négation
et l'invita à recommencer sa lecture :
Lily soupira bruyamment, mais essaya à nouveau
:
- LILY...
AU PAS... DEMO ?
- Lily au pays des mots, lut grand-mère.
La fillette soupira encore, exaspérée :
- Des mots ? Ils n'en font qu'à leur tête et ne
veulent pas m'obéir !
Grand-mère se mit à rire et tourna la première
page du livre.
On y voyait un mouton brouter dans un champ
d'herbe verte.
Un fil de laine dépassait de son épaisse toison
blanche et sortait de l'image, invitant Lily à tirer dessus.
- Qu'est-ce que...
Lily n'eut même pas le temps de terminer sa
question, qu'elle se retrouva avec sa grand-mère dans une étrange prairie, au
milieu d'un troupeau de brebis bêlant.
- Au pays des mots ! s'écria grand-mère en riant.
Autour d'elles, un troupeau entier
de brebis étaient installé pour tricoter dans un champ de laine verte.
- Qu'est-ce que c'est que cela ?
s'inquiéta Lily. Des brebis qui tricotent ! Comment c'est possible ?
- Je ne sais pas, répondit
grand-mère. Apparemment, tout est possible dans le pays des mots...
Moi, je ne sais pas tricoter,
mais elles ont l'air très douées !
Lily observait les brebis, bouche
bée.
- Une maille à l'endroit : la
maille est sur l'aiguille de gauche. Le fil est à l'arrière du tricot. je pique
avec l'aiguille droite dans cette maille, de l'avant vers l'arrière. Je passe le
fil derrière l'aiguille droite entre les deux aiguilles, avec l'aiguille droite
j'attrape ce fil, je le ramène vers moi, cela fait une maille qu'il faut détacher
de l'aiguille gauche... disait une brebis.
- Une maille à l'envers : La
maille est sur l'aiguille gauche. Le fil est vers moi. Je pique l'aiguille
droite dans la maille, de l'arrière vers l'avant. Je passe le fil sur l'aiguille
droite, vers la droite, entre les deux aiguilles. Avec l'aiguille droite,
je retire cette boucle vers l'arrière. Puis je tire pour enlever le reste de cette
nouvelle maille de l'aiguille gauche... disait une autre brebis.
Chaque brebis commentait ses
gestes, concentrée sur son ouvrage et comme bercée par le cliquetis infernal de
ses aiguilles qui s'entrechoquaient.
Lily et grand-mère en avaient le tournis.
- Comment font-elles pour ne pas rater
leurs mouvements et produire de si belles choses ? s'étonnait Lily en acceptant
le bonnet, les moufles et le pull qu'une brebis venait de lui offrir.
Parée de ses nouveaux atours,
Lily et sa grand-mère s'éloignèrent doucement des brebis, curieuses de
découvrir un peu plus cet étrange pays fait de laines multicolores.
Plus loin, elles rencontrèrent des
chèvres à la toison mohair très douce et très fine, des lapines angoras au poil
très long et d'autres grosses brebis mérinos ; et tous ces animaux ne cessaient
de tricoter des vêtements, des couvertures, mais aussi des arbres, des fleurs,
des nuages et des lacs entiers, tout en commentant leurs gestes et en faisant
cliqueter leurs aiguilles de fer.
- Point de jersey, point de riz,
point de côte, point fantaisie... scandaient les unes.
- Augmentation barrée, montez les
mailles, point de mousse ! s'écriaient les autres.
Grand-mère et Lily se demandaient
comment ces tricoteuses pouvaient s'y retrouver dans une telle cacophonie et un
tel méli-mélo de fils.
De plus, il faisait chaud, de
plus en plus chaud !
Pressées de sortir de ce décor de
laines douces et moelleuses, elles se précipitèrent vers une barrière de
cordelettes torsadées, persuadées qu'elles trouveraient autre chose au-delà de
ces vertes prairies.
Mais un berger les attendait et
remit une boîte à Lily :
- Jeune fille, pour sortir de ce
pays, tu devras travailler ta patience et ta persévérance de façon créative.
Comme les animaux qui vivent dans ce pays, tu devras tricoter des mots pour en
faire des phrases et des textes compréhensibles, tout en tricotant la laine
pour en faire un ouvrage lisible.
- Quoi ? s'écria Lily paniquée.
Nous sommes prisonnières du pays des mots ?
- Un mot à l'envers, un mot à
l'endroit, un mot dessus, un mot dessous, tournicoti, tournicoton, s'amusa le
berger en lui tendant à nouveau la boîte mystérieuse.
- Tu n'as pas le choix, Lily !
admit grand-mère. Prends ce cadeau, il te sera certainement salutaire.
Lily prit la boîte à contrecœur
et l'ouvrit ; elle contenait une brebis de bois trouée et une pelote de laine
blanche, douce et épaisse.
- Lis la notice et accomplis ton
ouvrage à haute voix ! lui recommanda le berger avant de disparaître et de les
laisser seules face à leur destin.
- B.R.E.B.I.S est brebis, lut la
petite fille tout en enfilant son fil de laine dans un premier trou.
- Bien, l'encouragea grand-mère.
- Je lis BR, puis je lis E, pour
lire BRE ; et puis je lis B et I pour lire BI.
- Le S est muet, commenta
grand-mère, on ne le lit pas.
- BRE et BIS font BREBIS,
poursuivit Lily, en poursuivant son ouvrage minutieusement.
- Parfait ! s'exclama grand-mère,
heureuse de constater les progrès que faisait sa petite fille, concentrée sur
son ouvrage.
- BRE ne se lit pas BER mais bien
BRE ! commentait Lily en s'appliquant.
- Ton ouvrage est presque
terminé, trépignait grand-mère, fière de sa petite fille.
- LES BREBIS LIBRES FONT DU BRUIT
! finit par s'exclamer Lily triomphante. LES BREBIS LIBRES FONT DU BRUIT ! LES
BREBIS LIBRES FONT DU BRUIT !
- Tu vois, tu décodes, tu comprends,
tu lis et tu seras aussi capable d'écrire ! s'exclama le berger revenu vers
elle pour la féliciter. Tu associes les lettres dans le bon sens pour en faire
des syllabes ; puis tu associes les syllabes pour en faire des mots ; tu
associes les mots pour en faire des phrases ; puis tu associes des phrases pour
en faire des textes... Les lettres associées font des sons et des paroles ; tu
discernes les sons, tu joues avec les mots ; tu perçois ces sons comme ce fil de
laine, tu les associes, tu les coupes, tu les manies à ta guise et tu fabriques
des textes, tu tricotes des phrases, des histoires...
La voix du berger disparut dans un
froissement de page ; le livre du pays des mots venait de se terminer... Lily et
grand-mère étaient enfin rentrées à la maison, loin des brebis tricoteuses et de
cette prairie de laine chaude...
Sophie Lavie
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