jeudi 22 septembre 2016

Princesse Joy



Princesse Joy

                                    Une histoire à propos du syndrome de dysoralité sensorielle. 

Il était une fois un Prince qui voulait épouser une princesse, mais une vraie princesse.

Un soir, alors qu'il faisait le tour de la Terre pour en trouver une, des cascades de pluie s'abattirent sur lui avec une telle intensité qu'il fit galoper son cheval à toute allure à la recherche d'un refuge.
Soudain à la lumière d'un éclair, se dessina dans la nuit un immense château fort.
Glacé et dégoulinant, le prince s'engagea sur la première passerelle du château et frappa de toutes ses forces à la porte, mais personne ne lui ouvrit.
Tremblant de froid et trempé comme une soupe, le Prince descendit de son cheval et arpenta les remparts du château à la recherche d'une brèche par laquelle il aurait pu entrer.
Mais le château était bel et bien fermé !

Alors qu'il s'apprêtait à quitter les lieux, il se retrouva soudain nez à nez avec une étrange créature.
Le Prince se douta bien que cette petite bonne femme droite comme un i, avec une tête de ... porte-voix
ne pouvait pas être une princesse...

 Dans quel monde étrange était donc arrivé notre Prince ?

Sans lui donner le temps de réfléchir ou même de poser une seule question, la petite bonne femme se présenta :
- Phonia, pour vous servir ! dit-elle en faisant la révérence.
- Prince Logos, bredouilla le jeune souverain, pour se présenter à son tour.
- Personne ne peut entrer ici ! claironna Phonia.
- Et pourquoi donc ? s'étonna Logos. Qui habite là ?
- La princesse Joy...
- La princesse Joy ? répéta le Prince intrigué. Mais pourquoi ne peut-on pas entrer dans son château ?

Sans répondre à sa question, Phonia fit signe au Prince de la suivre et elle l'entraîna dans une sombre forêt épaisse, constituée d'arbrisseaux et de fourrés de ronces inextricables.
Bientôt ils parvinrent à sa maison qui était cachée sous une énorme racine de figuier goutte d'or ; et elle y fit entrer le Prince.
Une chaleur sèche et étouffante d'amandes grillées, de chocolat et de vanille, le surprit aussitôt.
Dégoulinant de pluie, le visage marqué par l'effort et les ronces du chemin, il apprécia néanmoins de faire une pause à l'abri, dans cette petite maison où crépitait un feu de cheminée sur lequel compotait une délicieuse purée de figues fraîches et sucrées.
Se laissant tomber dans un confortable fauteuil de velours framboise, Logos ferma les yeux et respira le parfum léger et subtil d'amandier, de figuier et de châtaignier mêlé à un souffle minuscule de sapin, à une touche de pignons de pin et à un soupçon de jacinthe sauvage.
Les parfums de cette petite maison cachée dans les bois étaient si intenses qu'il eut  soudain l'impression qu'ils imprégnaient tous ses vêtements, sa peau, son nez et même sa langue !
Pouah !
Peu à peu les odeurs et les goûts se mélangeant tout autour de lui et en lui, lui donnèrent la nausée et il se précipita dehors pour reprendre son souffle... une bouffée d'air mouillé et vivifiant !
Aaaaaaah !

Phonia le suivit dehors en riant :
- Voilà pourquoi personne ne peut entrer dans le château ! ria-t-elle en tapotant amicalement le dos du Prince Logos.
- Quoi ? fit-il en se demandant si cette étrange petite bonne femme n'était pas folle.
- Princesse Joy ne supporte pas les parfums et les saveurs intenses de cette sombre forêt ; c'est pourquoi elle rejette tout intrus voulant s'introduire dans son palais.
- Mais les parfums et les saveurs de ta maison ne parviennent pas jusqu'à son palais ! objecta le Prince.

 
 
- Ce que tu as ressenti chez moi n'est qu'un aperçu de ce que la princesse vit jour après jour, lui expliqua Phonia, car elle ne perçoit pas les parfums ni les goûts comme toi et moi. Son nez et ses papilles gustatives sont si sensibles qu'elle les ressent cent fois plus que nous... alors pour se protéger, elle a érigé un pont levis, une barbacane et des mâchicoulis déclenchant un système de sécurité hypersensible chaque fois qu'un intrus s'approche du palais.



Abasourdi, le Prince s'affaissa sur une souche d'amandier noir.
Cette princesse devait être une vraie princesse pour être si sensible, mais maintenant qu'il l'avait trouvée, il ne pouvait s'en approcher !
Que faire ?

- Es-tu persévérant ? lui demanda alors Phonia, tandis que la pluie s'était enfin arrêtée dans la sombre forêt aux parfums de terre, de feuilles et de champignons mouillés.
- Bien sûr ! s'écria Logos en sautant sur ses pieds, dans un élan d'espoir.
- Et... tu es... un vrai Prince ? insista Phonia.
- Bien sûr que oui ! s'exclama Logos, vexé qu'elle doute de sa souveraineté.
- Alors prouve-le ! le défia-t-elle en le fixant droit dans les yeux.
- Comment ça ? lui demanda-t-il, soudain pressé de passer à l'action. Que faut-il que je fasse ?
- Tu devras frotter énergiquement le pont levis, la barbacane et les mâchicoulis du château, sept fois par jour pendant sept mois et la princesse sera alors libérée !


Retrouvant tout son courage, Logos accepta le défi que venait de lui lancer Phonia et se mit aussitôt à l'ouvrage.
Se lançant à l'assaut du pont levis, de la barbacane et des mâchicoulis, il les frotta tant et si bien sept fois par jour pendant sept mois, que la porte du palais finit par céder et que la princesse Joy apparut face à lui, rayonnante dans la lumière parfumée et savoureuse du petit matin.

Sophie Lavie



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