mardi 20 août 2024

4. Le père l'Accolade

 

Chapitre 4

 

Le père l'Accolade[1]

 


"Si tu peux rester digne en étant populaire,

Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,

Et si tu peux aimer tous tes amis en frères,

Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi."

Rudyard Kipling

 

C'est Jules, le nouveau maître charretier, qui eut la charge de conduire Augustin dans sa nouvelle demeure. Après avoir chaleureusement salué et encouragé le jeune normalien[2], le brave homme, qui n'était pas bavard, se tut jusqu'à leur arrivée à Chartres. Le nez au vent, Augustin respirait l'air humide à pleins poumons, et observait intensément la vaste étendue de terres fertiles qui s'étalaient à perte de vue sans un coteau ou un arbre. Au gré des secousses de la carriole, les parcelles chamarrées se confondaient, s’abaissaient puis s'élevaient avec la ligne d’horizon. Dans cette vaste platitude de champs ouverts, les villages et les hameaux ressemblaient à des îlots perdus en plein océan.

Ils traversèrent ainsi le village de Saint-Aubin-des-Bois sans s'arrêter, et le cœur d'Augustin se serra. Avec nostalgie, il repensa au jour où il avait présenté Louise à sa famille. À cet instant, il n'aurait su dire qui de son père, de son frère, ou de la jeune fille était le plus intimidé. Mais rapidement, la jeune cuisinière se sentit à son aise dans cette famille simple où régnaient la bienveillance et l'amour. Elle fit d'ailleurs si bonne impression, que le discours d'Augustin à propos de la loi Guizot et les propositions de messieurs Pont et de Fontaine passèrent sans aucune difficulté. Ravis d'accueillir Louise au sein de leur famille, les Laigneau perçurent les études de leur aîné comme une opportunité plutôt qu'une décision déloyale. Il faut dire que la jeune cuisinière avait su employer les mots justes pour leur expliquer comment les évènements avaient conduit leur fils à ce choix.

Apaisé par ces doux souvenirs, le jeune homme profita du paysage automnal composé de terres nues qui alternaient avec de grandes nappes vertes de luzernes et de trèfles. En une heure, dans le silence des plaines beauceronnes, la carriole parcourut une dizaine de kilomètres de chemins cahoteux et quelques routes pavées, avant de s'arrêter sur la place du châtelet qui faisait face à la cathédrale. Augustin saisit son sac de voyage, salua Jules et avança sans se retourner jusqu'au numéro quinze, rue du Grand-Cerf. Conscient que cette porte allait s'ouvrir sur une nouvelle vie pleine de défis, c'est avec émotion qu'il frappa à la porte de la maison du Vidame[3] où le logement des élèves avait été installé provisoirement[4]. Le directeur vint aussitôt à sa rencontre et l'accueillit chaleureusement. A sa grande surprise, Augustin constata que Monsieur Person n'était pas un vieil homme bedonnant, cachant un regard sévère derrière son lorgnon, mais un grand gaillard qui ne semblait guère bien plus vieux que lui.

Avant de lui présenter les lieux, Jean-Baptiste Person l'invita dans la modeste cuisine où sa jeune épouse, nommée Pauline, leur servit une bolée de petit cidre[5]. Avec modestie, le jeune directeur se présenta : il était né dans la Marne, mais avait grandi à Versailles, où son père, poète et calligraphe, avait ouvert une école libre en 1814, après son retour de la guerre. Jean-Baptiste y devint instituteur, puis fut nommé directeur de l'école normale d'instituteurs à Albi, avant d'être muté à Chartres, en octobre 1838.

Il lui relata son enfance en Champagne, dont il avait conservé l'inoubliable spectacle de l'invasion prussienne. Il raconta comment, en 1814, les Prussiens et les Cosaques brûlèrent, à deux reprises, la ferme qu'exploitaient ses grands-parents maternels. À cette époque, femmes et enfants campaient au milieu des lagunes de la Marne où ils avaient trouvé refuge.

Ils passaient ainsi des jours et des nuits dans de misérables huttes, pendant que les hommes, embusqués dans les bois ou derrière d'impénétrables roseaux, prenaient part aux combats et décimaient les convois ennemis. Il lui décrivit les détachements de soldats avec leurs canons et les officiers avec leurs fouets à la main, qu'il avait quelques fois croisés en ville. Il lui raconta qu'un jour les Cosaques étaient entrés dans la maison de ses parents et avaient dévoré, à pleines dents, tout le pain que sa mère avait mis au four.  Avec émotion, il narra encore comment son oncle Abraham avait jeté un Prussien au fond d'un puits, alors que ce dernier avait frappé sa femme. Le spectacle de ces tristes événements, ces années de privations et de détresse passées aux côtés de sa mère inquiète, loin d'un père parti en Allemagne, lui avaient inspiré une gravité et une sagesse précoces[6].

- Je fais partie de cette génération ardente d'enfants conçus entre deux batailles, élevés dans les collèges au roulement des tambours, de ces milliers d'enfants qui se regardaient entre eux d'un œil sombre, en essayant leurs muscles chétifs, ajouta-t-il avec résignation. De temps en temps, nos pères ensanglantés apparaissaient, nous soulevaient sur leur poitrine chamarrée d'or, puis nous posaient à terre et remontaient à cheval[7] !

- J'avoue que dans mon petit village de Saint-Aubin-des-Bois, nous n'avons pas connu ce genre d'épreuves ou de pénuries, admit Augustin en mesurant la chance qu'il avait eu de vivre une existence heureuse et paisible durant toute sa jeunesse, avec sa famille. 

Quoique différents, Jean-Baptiste et Augustin étaient bel et bien de cette époque, et de ce même millésime. Leurs pères et leurs instituteurs ressemblaient à des hérauts d’armes, leurs salles d’études à des casernes et leurs récréations à des manœuvres[8]. Grâce à cette éducation, ils s'étaient forgé une solide cuirasse. Leur apparence puérile s’était empreinte de caractère, leur tempérament s'était fortifié et leurs muscles s'étaient développés. On disait communément que cette dure instruction était faite pour leur bien. Et malheur aux maladroits, aux mal assurés, à ceux qui mouraient de peur devant l’épreuve, car ils n’entraient pas dans le royaume des vrais hommes ! Et cette époque épique était aussi l'âge héroïque des écoles normales primaires qui se développaient sous l'œil vigilant du pouvoir, avec le concours bienveillant des autorités locales…

Après lui avoir brièvement expliqué qu'il s'était marié à Paris en janvier dernier[9], le jeune directeur l'emmena rue Courte-Soupe. C'est là, en effet, dans l'ancienne école d'enseignement mutuel, dirigée autrefois par Monsieur Dunant, que les élèves avaient leurs salles de classe.

- Cet endroit est exigu, mais qu'importent les étroites proportions des locaux où l'on travaille, lorsqu'on sait tout agrandir par sa propre pensée, et tout ennoblir par les idées généreuses que l'on se fait de ses devoirs ! s'exclama-t-il, en lui montrant les salles de travail.

N'osant donner son avis de novice, Augustin haussa les épaules, signalant que cette modicité lui était égale. Encouragé par ce geste, Jean-Baptiste poursuivit la visite avec enthousiasme :

- N'est-ce pas des plus humbles ateliers, des mansardes les plus obscures, des laboratoires les plus resserrés que sont souvent parties les grandes découvertes de la science et les œuvres les plus distinguées de l'art ou de la littérature ? Les salles spacieuses, les pierres de taille, les solides charpentes ne sont rien. Les institutions, elles-mêmes, sont bien peu de chose ; l'homme seul est tout, avec son esprit et avec son cœur devant Dieu.

Enthousiasmé par les propos de son directeur, Augustin comprit que cette école serait bien plus qu'un institut de formation au métier d'instituteur, mais aussi une école de Dieu !

- Je vous suis entièrement dans cette entreprise, affirma-t-il avec une joie qu'il ne pouvait dissimuler.

- Le but de l'éducation c'est l'édification du peuple, et cette fin doit être chrétienne, poursuivit Jean-Baptiste avec verve. Voilà la pensée constante et dominante de mon enseignement. Notre projet doit être à la fois pieux et vertueux, et je ne varierai jamais sur cette question. Toute ma pédagogie, l'enchaînement de mes prescriptions, mon système d'enseignement, d'organisation, de discipline, mes idées sur la conduite publique et privée des instituteurs que je forme, doivent aboutir à cette double fin, ou plutôt à cette unique fin, édifiante et chrétienne !

 

- Je suis tellement reconnaissant de vous avoir rencontré aujourd'hui ! s'enflamma Augustin. Dieu m'a fait l'honneur de me donner une place dans votre établissement, et je me montrerai digne de son choix et du vôtre, Monsieur !

- Je ne suis à Chartres que depuis un an et votre aide me sera précieuse, avoua humblement le jeune directeur, d'un ton doux et mesuré. Parmi les autres élèves, qui sont des jeunes gens de seize à vingt ans, votre maturité sera, je le pense, bien utile et productive. Car le but social de la fonction d'instituteur, c'est de réaliser dans l'éducation des enfants du peuple les plus hautes espérances de la piété et de la patrie ; c'est d'élever les enfants du peuple à la dignité d'hommes, de chrétiens et de citoyens !

- Je m'y attacherai, Monsieur, lui promit Augustin. Vous pouvez compter sur moi.

- Monsieur Pont m'a assuré de votre loyauté et de votre vertu, lui confia Jean-Baptiste. C'est pourquoi, je suis certain que vous êtes ici au bon endroit et au bon moment.

- Je le crois aussi, Monsieur, l'assura Augustin.

- Dieu fait toutes choses belles en son temps[10], conclut Jean-Baptiste, avant de raccompagner le jeune normalien à la maison du Vidame.

C'est là que vécurent, dans une sorte d'intimité, pleine de confiance et d'abandon, respectueuse et affectueuse à la fois, le directeur et les élèves-maîtres. Tous, dans cette maison, en dépit de leurs origines sociales ou géographiques, avaient un point commun : ils désiraient donner une bonne éducation aux jeunes enfants les introduisant pieusement dans la vie chrétienne. Ils voulaient développer en eux le goût du travail, un esprit obéissant et des sentiments d'union, de paix, de concorde et d'affection mutuelle. En influençant ainsi leurs classes, ils visaient à préparer les jeunes générations en les rendant capables de prendre part un jour au sain développement de leur pays. Et pour cela, il leur fallait posséder une autre science plus rare que celle de l'éducation en général ; il leur fallait mettre en œuvre des moyens moraux et être des pédagogues ayant une intelligence et un cœur renouvelés par l'Esprit éternel.

Cette école fut comme une famille, dont Jean-Baptiste Person fut le père jusqu'à sa dernière heure. Augustin remarqua immédiatement sa tenue irréprochable, la pureté de ses mœurs, l'élévation de son langage et la distinction de ses manières. Ce grand jeune homme, raisonnable et mûr avant l'âge, cherchait toujours à s'élever, non pas en dehors de sa sphère, mais au-dessus du niveau commun. Il apportait en effet, en toutes choses, un tact et une décence sans faux-semblant ni raideur, parce que la bienséance était le fond même de sa nature, que son ton n'avait rien de prétentieux, et que la gaîté et la bonne humeur n'en étaient point exclues.

D'autre part, il reçut le soutien indéfectible de ses parents qui ne l'ont jamais quitté. Même si son père, Jacques Person-Collard, était en quelque sorte son écharde dans la chair, à cause de son effroyable caractère, son fils l'avait embauché comme maître-adjoint[11]. À ce titre, cet homme donnait aux élèves des leçons d'écriture en épargnant ni sa peine ni son temps. Et l'autre passion qu'il partagea avec les élèves-maîtres, pendant leur temps libre, c'était la pêche. Il fabriquait ainsi toutes sortes de filets et de réservoirs à poissons, et par ses soins, la pièce d'eau de l'École normale était pleine de belles carpes et d'un abondant fretin[12]. Le vieux professeur forma ainsi plusieurs générations de calligraphes et de pêcheurs émérites, jusqu'à ce qu'il décède le 20 mars 1849, frappé d'apoplexie, en taillant ses plumes dans sa salle de classe. 

Devant son père et tous ses maîtres, Jean-Baptiste Person savait s'effacer, reconnaissant la supériorité de chacun d'eux en son art. Mais il était leur maître à tous, par la hauteur de ses vues et de ses idées, et par l'impulsion éclairée qu'il donnait à tous ces travaux. C'est grâce à ces qualités éminemment sociables qu'il conquit, dès sa première jeunesse et à toutes les époques de sa vie, les plus honorables amitiés.

Malgré toutes ces qualités, il est vrai qu'une chose essentielle lui faisait pourtant entièrement défaut : c'était le génie des affaires. C’est-à-dire qu'il n'avait pas cet honnête esprit pratique qui sait équilibrer les recettes et les dépenses, et rechercher un profit légitime, juste récompense du labeur. Ainsi, partout où il y avait de l'argent à gagner, Jean-Baptiste ne sut qu'en perdre. Pour le nombre et la qualité des élèves, sa pension était florissante, mais sous le rapport des bénéfices, c'était une déplorable affaire. Ainsi, bien qu'il prouva son honnêteté en les payant, il ne fit que des dettes, jusqu'au jour où une circonstance favorable se présenta et mit fin à cette ruineuse entreprise. Il y a en effet un temps pour tout sous le soleil, un temps où l’Eternel appauvrit et un autre où il enrichit ; il abaisse et élève, en effet, qui il veut et quand il le souhaite[13].

Tout commença pendant une froide nuit du mois de novembre 1839. Quelque peu fiévreux, Jean-Baptiste s'était couché très tôt, et soudain, il fit un rêve étrange. Il se vit sous la forme d'une caille épuisée qui n'avait plus la force de voler. Puis une voix céleste lui intima l'ordre de monter dans le nid d'un aigle, qui gisait à terre. Il entra dans le nid et une main géante le souleva jusqu'aux cieux. Quand l'ascension fut terminée, un aigle surgit à ses côtés et l'invita à s'élancer dans les airs. Obéissant à sa voix, il sauta dans le vide, et se transforma aussitôt en aigle royal. Quelques secondes plus tard, il volait à l'unisson avec l’autre rapace. Ils étaient si proches l’un de l’autre, qu’on aurait pu croire que leurs ailes étaient attachées ensemble. Une voix céleste retentit alors, en disant : "Non plus jamais seul !" Et juste avant qu'il ne se réveille, il vit une salière géante, lui rappelant un verset de la bible : "Vous êtes le sel de la terre, mais si le sel perd sa saveur, avec quoi le salera-t-on ? Il ne vaut plus rien qu’à être jeté dehors, et à être foulé aux pieds par les hommes[14]."

Le jeune directeur n'était pas le genre d'homme à prêter attention à ses divagations nocturnes ; mais cette fois, il ne parvenait pas à chasser de ses pensées les images de ce songe insolite. Tourmenté, il décida de les partager avec son épouse, qui lui conseilla d'en parler à Augustin. À maintes reprises, elle avait surpris l'ancien charretier raconter, à ses acolytes, des histoires d'aigles ou de cailles. Alors, peut-être aurait-il une explication à lui donner.

Le soir-même, Jean-Baptiste invita Augustin à le rejoindre dans la bibliothèque, et lui demanda de lui partager le récit des légendes indiennes qui circulaient dans le dortoir des élèves-maîtres. Le jeune homme s'exécuta, et finit par lui raconter sa mésaventure avec les cailles achetées au marché, et tous les évènements surprenants qui étaient survenus ces derniers mois. Captivé par cet engrenage de circonstances providentielles, le directeur passa une grande partie de la soirée avec Augustin, à philosopher sur les notions de souveraineté divine et de liberté humaine, et à chercher dans des commentaires bibliques des réponses à propos de son rêve.

Et voici les conclusions de leurs passionnantes investigations :

Après avoir relu les béatitudes[15], ils en conclurent que Jésus avait prédit à ses disciples d’inévitables persécutions dans un monde ennemi de Dieu. Le Christ avait voulu leur faire sentir tout le sérieux de leur position et la grandeur de leur vocation, afin que, loin de se laisser abattre par l’opposition, ils n’en deviennent que plus courageux et fidèles pour exercer la sainte influence qu’ils étaient appelés à avoir. Convaincus que de telles exhortations les concernaient et les incitaient à découvrir un glorieux secret, Jean-Baptiste et Augustin approfondirent leurs recherches. Tels Josué et Caleb, ils se sentaient appelés à avancer par la foi, et non à tourner en rond dans un désert où ils finiraient par être dévorés comme des cailles. A l’instar des premiers chrétiens, ils devaient faire la différence au sein de leur génération et devenir, eux aussi,  le sel de la terre.

- Le sel a pour but d'éloigner la corruption et de rendre les aliments savoureux et sains, dit Augustin, qui réfléchissait à voix haute.

- Le sens spirituel de l’image est évident, renchérit Jean-Baptiste. Pour les rabbins, le sel symbolisait la sagesse. Ainsi, par leur conduite et leurs paroles avisées, les disciples de Jésus devaient influencer la société. Ils étaient le sel de la terre, destiné à pénétrer toute la masse de l’humanité.

- Mais si le sel venait à devenir insipide, rien ne pourrait lui rendre sa saveur, il deviendrait une matière inutile, bonne à être jetée, poursuivit Augustin intéressé par les commentaires pertinents de son directeur.

- Le monde est semblable à un morceau de viande qui est en train de pourrir, ajouta Jean-Baptiste, plongé dans ses livres. Le mal est présent partout. L’homme désobéit à Dieu. Il devient spirituellement corrompu comme une viande avariée. Or, nous voyons dans l'ancien testament que chaque fois que le peuple juif désobéissait à Dieu, il lui envoyait des prophètes pour l’inciter à la repentance. Les prophètes étaient comme du sel. Ceux qui tenaient compte de leur parole étaient purifiés. Les chrétiens sont appelés à être du sel comme les prophètes de l’Ancien Testament.

- Le sel possède une autre caractéristique, émit Augustin. Une petite pincée suffit et peut avoir de grands effets. Le sel fait la différence, il est efficace. Les chrétiens doivent être semblables au sel, et leur présence doit faire la différence dans ce monde pour en modifier la saveur.

- En fait, à la lecture des huit béatitudes, nous pouvons savoir quelle doit être la saveur d’un chrétien, constata Jean-Baptiste, les yeux rivés sur les évangiles. Mais une question se pose à nous : Avons-nous cette saveur ?

- Si nous ne l'avons pas, nous sommes de faux chrétiens et ne valons rien ! Juste bons à être jetés au fumier ! s'emballa Augustin.

- Plus que de routes, d’usines ou de confort, nos contemporains ont besoin de Dieu. Sans le savoir, ils aspirent à la paix, à l’amour, au pardon et au salut. En d’autres termes, ils ont besoin du sel spirituel. Or, chaque chrétien est semblable à un grain de sel qui doit être apte à apporter un véritable progrès dans ce monde, un progrès spirituel ! poursuivit Jean-Baptiste. Mais pourquoi donc, dans ce rêve, Dieu m'a-t-il montré sous la forme d'une caille ?

- Les cailles sont des oiseaux migrateurs qui volent rapidement, mais si le vent faiblit, les cailles sont épuisées par un vol prolongé, elles tombent et deviennent des proies faciles, lui répondit Augustin.

- L'apôtre Paul avait raison de dire que peu de sages, de nobles et de puissants ont été choisis pour accomplir l'œuvre de Dieu, afin que personne ne se glorifie, ajouta le jeune directeur pensif.

- Dieu choisit des gens avec des manquements et des faiblesses ; il leur confie des tâches à accomplir et les équipe d'une grâce suffisante pour qu'ils en soient capables, renchérit Augustin qui avait compris cette grâce depuis peu.

- Nos faiblesses sont en réalité une merveilleuse opportunité de démontrer la puissance et la capacité de Dieu, confirma Jean-Baptiste. Et Dieu nous maintient dans l'humilité et la dépendance à lui, afin que nos vies le glorifient.

- Alors, vous avez compris la raison de ce rêve ? l'interrogea Augustin qui tombait de fatigue.

- Oui ! s'exclama le jeune directeur, plein d'enthousiasme. Plutôt que de me battre avec mes faiblesses, de vouloir les cacher ou de chercher des appuis humains pour les dépasser, je dois m'appuyer plus que jamais sur Dieu, afin qu'il se glorifie pleinement dans ma vie.

- Dieu merci ! fit Augustin, soulagé de cet heureux dénouement.

- Désolé de vous avoir tenu en éveil si longtemps, reconnut le jeune directeur. Mais si vous êtes d'accord, j'aimerais réitérer ce genre de soirée de réflexions théologiques avec vous, afin que nous nous employions à devenir le sel de la terre !

- Avec plaisir ! répondit Augustin.

- On m'appelle le père l'accolade ! lança le jeune directeur en affichant un sourire de satisfaction, et en serrant virilement Augustin dans ses bras.

Cette nuit-là marqua le départ d'une longue et profonde amitié entre les deux jeunes hommes, qui prirent l'habitude de s'édifier mutuellement dans les voies de Dieu.


Suite

[1] C'est le surnom qu'avaient donné les élèves au directeur de l'école normale de Chartres (de 1838 à 1876), parce qu'il utilisait sans cesse ce signe de ponctuation structurant les textes en délimitant des groupes d'éléments. Il y a ici un jeu de mot sur le terme "accolade" décrivant aussi le geste consistant à se serrer dans les bras en signe d'amitié. Car Jean-Baptiste Edouard Person (1808-1877) et Augustin tissèrent une solide amitié qui perdura jusqu'à la fin de leur vie.

[2] Étudiant ou ancien étudiant de l'école normale qui formait autrefois les instituteurs, appelé aussi élèves-maîtres.

[3] Titre nobiliaire des descendants du duc Saint-Simon.

[4] En 1837, le département avait acheté la maison du Vidame, pour y construire l'École normale. Mais elle fut jugée insuffisante pour contenir au moins trente élèves, posséder une école annexe d'application, et offrir un jardin assez vaste pour les cours pratiques et les essais d'horticulture et d'agriculture très prisés à cette époque.

[5] Cette boisson essentiellement fabriquée en Normandie et en Bretagne était constituée de marc de pommes et d'eau. Sa teneur en alcool étant très faible, elle était préconisée par les médecins. (Les normands en consommaient quotidiennement jusqu’à cinq litres par adulte, jusqu’au début du XXe siècle).

[6] D'après la biographie de Jean-Baptiste Edouard Person : instituteur primaire et chef d'institution à Versailles, directeur des Écoles normales d'Albi (Tarn) et de Chartres (Eure-et-Loir) : 1805-1877 (2e édition) / écrite par Paul Léonce Person.

[7]   D'après une citation d'Alfred de Musset.

[8]   D'après une citation d'Alfred de Vigny.

[9] D'après "Geneanet" : Jean-Baptiste Edouard Person (1806-1877) s'est marié le 22 janvier 1839, à Paris, Ile-de-France, avec Pauline Guillard (1820-1877).

[10] D'après le livre de l'Ecclésiaste 3.11.

[11] Chaque fois qu'il est question de maîtres, maîtres d'études ou maîtres-adjoints, on parle des professeurs.

[12] Abondance de petits poissons ou alevins.

[13] Selon Ecclésiaste 3.1 et 1 Samuel 2.7 dans la bible.

[14] D'après l'évangile de Matthieu 5.13.

[15] Nom donné à une partie du Sermon sur la montagne rapporté dans l'Évangile selon Matthieu 5. 3 à 12.

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