Il n’est pas conscient de ma présence. Il est allongé sur le lit, les yeux fermés : la couverture qui le couvre monte et descend doucement au rythme de sa respiration. Le silence pèse lourdement, même si le réveille-matin à son chevet émet une musique country abrutissante. Des photos de petits-enfants au regard innocent se trouvent parsemées ici et là sur son bureau. Un cadre en bois présente aux regards une version plus jeune et plus forte de l’homme étendu sur le lit.
Il est inconscient de tout cela. Il dort, insouciant. Je me trouve donc assis dans un coin de sa chambre, dans l’attente de son réveil.
Je suis là… au cas où il aurait besoin de quelqu’un.
Mon grand-père vit ses derniers jours sur cette terre. Il passe presque tout son temps à dormir. Selon les médecins, la mort approche à grands pas. Ce sera peut-être demain, ou la semaine prochaine. Chose certaine, ce sera bientôt. Et ici, pendant ces longues journées d’attente, dans un silence qui n’est interrompu que par des pas dans le couloir, je me pose la question : « Le monde pourrait-il être meilleur? »
Nous voulons tous voir le monde s’améliorer. Parfois, notre désir de voir les choses changer vient nous percer le cœur. Nous voyons la souffrance en ce monde et nous crions au secours. Nous voyons les bébés qui meurent, les adolescents sans espoir, l’injustice et le mal qui se répand. Nous voulons voir les choses changer, mais sans trop savoir comment nous y prendre.
Une lutte interne fait rage dans mon âme lorsque je songe à changer le monde.
J’ai vécu jadis dans le camp de l’optimiste éternel. J’ai passé des jours ensoleillés à me consacrer de tout cœur à des mouvements qui prêchent le changement à haute voix et font croire que tout est possible. Ces optimistes dirigent la conversation, pleins d’énergie et de passion, à la poursuite du changement au sein d’un monde complexe et affairé.
Si une grande passion les anime, alors les mots coulent de leur bouche un peu comme une marée caféinée.
La vague du changement se déferle, et le monde peut être meilleur, sera meilleur, et cela, grâce à vous et à moi. Leurs discours ressemblent beaucoup à la télépub : le vendeur parle à voix forte, et le produit est bon marché. Ne t’inquiète pas : tu n’as qu’à accueillir le changement et suivre la vague… N’est-ce pas?
Tout récemment, j’ai rencontré trois optimistes éternels au centre commercial. Ils étaient vêtus de noir et portaient des affiches proclamant leur offre d’étreintes gratuites. Mais personne ne s’approchait d’eux pour qu’ils les serrent dans leurs bras. En fait, les gens cherchaient plutôt à fuir ces personnes au large sourire qui offraient des étreintes empoisonnées. Comme passant, j’ai trouvé la scène à la fois tristement ironique et sombrement comique.
Un petit geste
Le problème, quand cela vient au changement, c’est qu’il est impossible à mesurer. Lorsque nous faisons appel au changement, ce que nous espérons voir, ce sont des changements radicaux qui viendront modifier le cours même de l’histoire. Nous n’aimons pas le gouvernement, et donc, nous en élisons un nouveau. Nous voulons améliorer notre santé, et donc, nous nous abonnons à un gymnase ou à un programme d’exercices. Nous mettons tous nos efforts à changer. Nous aimons les transformations radicales. Rien de moins ne saurait nous satisfaire.
Ma fille de quatre ans comprend mieux le changement que moi.
Un après-midi, en la ramenant chez nous après sa journée en garderie, je lui ai demandé comment cela s’était passé. Elle s’est tournée vers moi, le sourire au visage, et tout rayonnante de joie, elle s’est exclamée : « Papa, on m’a invité à une fête d’anniversaire! » Le changement d’attitude était impressionnant! Notre famille a beaucoup déménagé, et elle n’a donc pas eu beaucoup d’occasions de se faire des amis. Mais elle était là, toute joyeuse de savoir qu’une de ses nouvelles amies venait de l’inviter à une fête. Un petit geste d’amitié – aux effets impressionnants. C’était beau à voir!
Un petit geste après l’autre
Et donc, me voici, assis, un agent de changement. Je crois que le changement a moins à voir avec l’histoire et les manchettes, et plus à voir avec tous les gestes d’amour que nous pouvons offrir chaque jour. C’est moins le simple désir de vivre une vie d’influence, et plus la constatation que chaque jour, des occasions de changer le monde se tiennent là devant nous. Je me trouve assis tandis que mon grand-père, assoupi, vit ses derniers jours sur cette terre. Il ne sait pas si je suis son petit-fils, son médecin ou un ancien copain de pêche.
Et voilà que mon grand-papa s’agite. La couverture tombe à terre. Il a froid : je le constate au fait qu’il agite ses jambes dans l’espoir de se réchauffer.
Et donc, je me lève, je m’approche du lit, et je recouvre ses jambes.
Ce n’est qu’un petit geste.
Mais en le posant, je change la situation, et le monde change un petit peu avec moi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.